Marie Rocher, un long chemin jusqu’au vin

Avant de devenir vigneronne à Pouillé, Marie Rocher a eu plusieurs vies qui l’ont fait passer par l’urbanisme, l’édition ou la boulangerie en France, en Asie, en Angleterre... Autant de circonvolutions qui lui ont permis, petit à petit, de se forger sa propre histoire avec le vin.

Marie Rocher a posé ses valises à Pouillé, en pleine vallée du Cher, à 40 ans et quelques poussières. Car, dit-elle, c’est là qu’elle a trouvé « l’espace pour faire des choses. En vallée du Cher, l’horizon est large et lumineux, c’est ouvert et puis, il y a la présence du fleuve. On s’approche d’une campagne rêvée et on n’est pas loin de la ville. » Le compliment vaut cher de la part d’une Parisienne, certes, mais dont les souvenirs d’enfance remontent aux vacances à la ferme familiale au cœur des Vosges avec chemin d’accès inaccessible en voiture et prairies attenantes à faucher. Plus tard, sa campagne, ce fut le Beaujolais de Marcel Lapierre, pionnier des vins nature où elle fit ses premières vendanges, à 18 ans, en 1996. « C’était extraordinaire, j’ai adoré le travail en lui-même et l’ambiance très familiale », dit-elle plus de vingt ans après, le sourire dans la voix. Un premier pas concret dans le vin qu’elle n’avait alors fréquenté qu’à travers les livres édités par son père Jean-Paul Rocher1 et à la table de ses auteurs.

Travailler un produit simplement

Reste que si l’activité paternelle instille quelques fondamentaux dans la vie de sa fille, cuisine, écologie, livres, vin, ce dernier reste à la marge. Marie préfère s’appuyer sur le langage universel de la cuisine pour tisser des liens en Mauritanie, au Cambodge, en Angleterre. La jeune urbaniste spécialisée en environnement se teste dans de longues missions à l’étranger. En Angleterre, elle découvre « la cuisine [qu’elle] aime, savoureuse, qui travaille un bon produit simplement », le mouvement des Farmer Markets dans le Norfolk et les premiers pubs londoniens où l’on cuisine simple et local. Jamais loin des bases paternelles, mais à l’étranger pour peut-être s’en éloigner. À son retour en France, elle passe son temps libre à présenter les livres des éditions Jean-Paul Rocher sur les salons des vins, notamment celui des Vins du coin2. Elle y rencontre les Villemade, Puzelat , Potaire ... 
Pourtant, elle choisit la cuisine, se forme à l’École internationale de boulangerie, puis à Ferrandi, en reste là, co-écrit Tronches de pain aux éditions de l’Épure, en écho aux Tronches de vin 1 et 2 parus quelques années plus tôt.

« Donner une âme » au vin

Il faudra des vendanges chez Hervé Villemade et du temps passé auprès de vignerons locaux à l’occasion de séjours en Loir-et-Cher pour que le déclic se fasse. « J’ai compris que le vin réunissait la géographie, l’histoire, la culture, la table, la cuisine, l’esthétique, qu’il avait une approche internationale via la commercialisation... » Tout ce autour de quoi elle tourne depuis des années. « Je me suis rendu compte que mon palais avait été formé aux vins naturels, que j’avais baigné et grandi dans ce milieu... J’avais fait de nombreux détours pour y revenir à ma manière. » Formée par son mentor, Didier Barouillet, pionnier des vins bio en vallée du Cher, elle considère le raisin qu’elle achète sur pied comme « un produit brut à travailler sans chichi. Chaque geste demande du soin, on doit donner une âme à un produit, susciter un imaginaire qui doit s’exprimer jusque dans l’objet bouteille... » Ses cuvées ‒ baptisées Emmenez-moi, Les Passantes, Les Valseuses, aux étiquettes joliment illustrées ‒ n’en sont que le reflet.
Alice Enaudeau

photos : © Cyril Ananiguian

1 Les éditions Jean-Paul Rocher ont édité les textes de Jules Chauvet, considéré comme le père du mouvement des vins naturels, Red, Guide de poche des vins naturels et des terroirs du monde, et de nombreux livres culinaires comme Le Risotto, les liaisons gourmandes de Tony Vianello, Le Civet de lièvre de Patrick Rambourg, La Blanquette de veau. L’histoire d’un plat bourgeois, de Jean-Louis Flandrin, La Morue entre sel et mer, de Blandine Vie, La Cuisine néolithique, d’Anne Flouest et Jean-Paul Romac.
2 Salon des vins naturels organisé par un collectif de vignerons de Loir-et-Cher, qui se déroule chaque année le 1er week-end de décembre à Blois.